Aya versus Tateishi, Keiko versus Hagiwara

Au parcours d’un artiste ayant suivi un cursus scolaire succède un itinéraire bien plus périlleux, un vrai exercice de style, le passage vers le temps où il décide de ses choix et orientations. Je passerai ainsi rapidement sur l’intérêt que suscite les travaux antérieurs de ces deux ex-étudiantes fraîchement débarquées de l’école d’art d’Aix en Provence ; le dynamisme des lignes des dessins d’Aya, la façon dont elle concentre des points de force au sein de l’espace vide qu’elle s’emploie à composer ; l’étrangeté des installations de Keiko qu’elle élabore avec quelques bouts de tissu, le contraste entre formes colorés propres aux rêves d’enfant et réalités sombres d’un monde d’adulte. Plus intéressant, me semble-t-il, est le travail qu’elles ont créé au sein de l’AtelieR naTional dans le cadre de l’exposition qui leur était consacrée.

Un artiste est davantage une personne qui se questionne sur ce qu’il souhaite faire à l’avenir, qu’une personne qui caresse ses réalisations passées au point d’en être captif. Lors de l’élaboration de cette exposition, le devenir de ces deux jeunes artistes ne pouvait se suffire de projets d’antan. Aya et Keiko ont donc dû défier le rien afin d’en faire un quelque chose de bien mieux.

Pour Aya, ce fut avec ses pinceaux, dans la cour, à même le mur, à tracer un trait, un autre, à arrondir une ligne pour en faire une forme dynamique suggérant un mouvement plutôt qu’un contour net et réaliste, à se servir des aspérités pour donner relief à son dessin, à imaginer une mise en espace en se servant des angles, de ce que lui offrait cette surface faite d’aspérités. Le paysage d’Aya rappelle les fonds d’estampes japonaises, sauf que rien ne s’y pose, pas de samouraï, ni même de carpe koï, juste une humeur, une peinture de l’âme tracée par le mouvement du pinceau.

Pour Keiko, ce fut avec son dès à coudre, ses ficelles, ses choix de tissus que peut-être elle étala lors de la confection de ses marionnettes comme un peintre étale ses couleurs avant de les assembler, de composer, d’élaborer en fonction des hasards rencontrés au fil de son aiguille. Aiguilles qui piquèrent peu à peu la matérialisation de cinq monstres tragi comique, croisement de créatures  imaginaires japonaises, les Yôkai, et de pantins fantasmagoriques rappelant un Muppet show angoissant. Angoisse que Keiko a renforcée in situ en pendant ses marionnettes au plafond afin de les faire vibrer un peu plus entre le jeu et la mort.

Le pire ennemi d’un artiste dans l’élaboration de son travail serait de se suffire d’un résultat atteint sans voir qu’au cœur de cet état se cache des bribes d’autres pistes à emprunter. Avancer, toujours, commencer, rajouter, extraire, recommencer, ne jamais s’endormir sur ses lauriers, mais juste fermer les yeux afin de rêver et d’incliner la tête vers d’autres destinations, c’est ce qu’on fait Aya et Keiko, leur prochain rêve n’en sera que plus prometteur.

Franck Lesbros

Exposition jusqu’au 6 novembre 2010 – ouverture le samedi de 14h à 18h et sur RDV
Photos, vidéo et performance de l’exposition

oct 232010

Cadeaux , Tissus, bois fils, 2010

Sans titre (2008),  La forêt où naissent les étoiles (2007) et Marionnettiste (2010)

http://keikohagiwara.com/
http://www.noinoinoi-keiko.blogspot.com/
http://noinoinoi-bis.blogspot.com/
D’autres photos de l’exposition sur facebook