juin 192010

Aurélien Louis

Bouche d’ombre

Tous les êtres humains ont la capacité d’entrer en transe, comme tous peuvent parler le chinois, à condition de l’apprendre. Il s’agit d’aptitudes propres au système nerveux. La transe constitue un état extrême de conscience altérée. On la décrit généralement en trois stades successifs. Au cours du premier, le sujet voit des signes géométriques inorganisés: points, zigzags, grilles… Quand la conscience s’altère un peu plus, il donne un sens, une structure à ces signes, selon son environnement culturel. Un chamane du Nouveau-Mexique fera d’un zigzag un serpent à sonnette, alors qu’un Européen contemporain y verra le fil entortillé d’un téléphone. Avant d’atteindre le troisième stade, on a l’impression de passer dans un tunnel au bout duquel brille une vive lumière. On retrouve là les descriptions de ceux qui sont revenus d’états à la limite de la mort. Ondébouche dans un monde où l’on peut voler, se transformer en animal, en oiseau, en être hybride. Là aussi, les hallucinations dépendent de la culture: un chamane sibérien verra des ours ou des rennes, alors qu’un Bushman côtoiera des girafes ou des lions. Que constate-t-on dans les grottes préhistoriques? Les animaux flottent sur les murs. Il n’y a ni sol, ni montagne, ni soleil, ni étoile. Il n’y a pas d’échelle, pas de proportions. Le plus plausible est que les hommes préhistoriques croyaient que, derrière la roche, il y avait des esprits. En les dessinant, ils fixaient leurs visions, ou ils entraient peut-être en contact avec les esprits, ou bien encore ils participaient de leur puissance.

Jean Clottes, « Les chamanes artistes de la préhistoire » Par O’Dy Sylvie, L’express publié le 28/11/1996.

Artistes exposée du 5-30 juin 2010 dans le cadre de l’exposition collective Autour du Lapin